Mission de soin aux animaux de la faune sauvage et classement comme « susceptible d’occasionner des dégâts », l’insoluble équation pour les Centres de sauvegarde de la faune sauvage ?
Si la Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 a remplacé le terme « nuisible » par « susceptible d’occasionner des dégâts » à l’article R427-6 du code de l’environnement ou « espèce non domestique » (art. L427-6 code de l’env.), le régime juridique applicable à ces espèces n’a quant à lui pas évolué (1).
Ce sont ainsi trois arrêtés ministériels qui fixent trois listes d’espèces d’animaux classées susceptibles d’occasionner des dégâts.
- La 1re liste désigne les espèces non indigènes (c’est-à-dire non originaires de France) classées sur tout le territoire métropolitain. Y sont inscrits le chien viverrin, le vison d’Amérique, le raton laveur, le ragondin, le rat musqué et la bernache du Canada.
- Le 2e groupe contient les espèces d’animaux indigènes classées nuisibles dans chaque département sur proposition du préfet (notamment fouine, renard, corbeaux freux, corneille noire).
- Le 3e et dernier groupe contient quant à lui la liste des espèces classées susceptibles d’occasionner des dégâts par un arrêté annuel, du préfet cette fois. C’est donc le préfet qui décide tous les ans du classement et des modes de destruction dans son département du lapin de garenne, du pigeon ramier et du sanglier. Car oui, les 19 espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » en France peuvent être « détruites », en plus d’être chassées en tant que gibier. Cela signifie non seulement qu’elles peuvent être tuées hors des périodes de chasse réglementées, mais aussi par des moyens non autorisés pour la chasse, tels que le piégeage.
Il est cependant obligatoire que le ministre justifie son choix d’inscription par l’un au moins des quatre motifs listés à l’article R427-6 du Code de l’environnement. Ces motifs sont très larges : le classement peut par exemple être ordonné « dans l’intérêt de la santé publique » ou encore « pour prévenir des dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ».
Avec cette superposition de trois groupes d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, il n’est pas évident de savoir rapidement si un animal est classé « nuisible » sur un département donné. Ceci est d’autant plus vrai que le classement est susceptible de varier d’une année sur l’autre. Le problème est que ce régime juridique emmêlé complique en pratique la prise en charge conforme au droit des animaux sauvages blessés.
Nous allons nous focaliser sur les possibilités qui existent ou non de soigner un animal « susceptible d’occasionner des dégâts » aujourd’hui. Cela implique de s’intéresser au rôle et aux pouvoirs des centres de sauvegarde de la faune sauvage (CSFS), premiers acteurs au service des animaux sauvages sur le terrain.
MISSION ET POUVOIRS DES CENTRE DE SAUVEGARDE DE LA FAUNE SAUVAGE
Les centres de sauvegarde recueillent les animaux sauvages blessés, malades, mazoutés ou en difficulté pour les soigner en vue de les relâcher dans leur environnement naturel (www.ufcs.fr). Ils sont habilités à « héberger, soigner et entretenir les animaux de la faune sauvage momentanément incapables de pourvoir à leur survie dans le milieu naturel » (2).
La question est de savoir quels animaux les centres de sauvegarde peuvent recueillir, donc s’ils peuvent soigner des animaux classés susceptibles d’occasionner des dégâts. La législation les concernant, très explicite sur les modes de destruction autorisés, l’est cependant beaucoup moins sur la possibilité ou non pour un centre de sauvegarde de les soigner… Cela n’est pas surprenant puisque ces espèces ne sont appréhendées par le droit que sous l’angle d’éléments nocifs à éradiquer.
POSSIBILITÉ DE SOIGNER TOUS LES ANIMAUX…
Les centres de sauvegarde sont soumis à autorisation d’ouverture, délivrée par arrêté préfectoral. C’est cet arrêté d’autorisation d’ouverture qui fixe la liste des espèces ou groupes d’espèces ainsi que le nombre d’animaux de chaque espèce ou groupe que l’établissement peut détenir (art. R413-19 du Code de l’environnement). Concernant le type d’espèces qu’un centre peut recueillir, l’annexe de l’arrêté du 11 septembre 1992 dispose sans plus de précisions que les spécimens de la faune sauvage recueillis se répartissent en deux catégories :
- Les œufs, couvées, portées ou petits de tous les animaux.
- Les animaux momentanément incapables de pourvoir à leur survie.
Il n’est fait aucune précision sur la catégorie d’animaux concernés (gibiers, protégés ou nuisibles). La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) Grand Est contactée à ce sujet nous a confirmé que l’autorisation d’ouverture du CSFS délivrée par la Direction départementale de protection des populations (DDPP) « concerne les animaux sauvages sans autre précision ». Un centre de sauvegarde peut donc être habilité à recevoir un animal déjà classé nuisible ou qui le sera ultérieurement sur le territoire de son département, tant que le certificat de capacité du responsable le permet.
…MAIS PEUT-ÊTRE PAS DE TOUS LES RELÂCHER
Le réel problème se pose donc en aval. L’Union française des centres de sauvegarde (UFCS) elle-même part du principe que les centres de soin ne récupèrent pas d’animaux nuisibles et leur demande de ne pas en recueillir. C’est pourquoi certains centres tels que Volée de piafs (dans le 56) ont décidé de quitter l’UFCS. Il est vrai que la législation en vigueur sur ce point est loin d’être complète et éclairante. En effet, l’article R427-26 du code de l’environnement soumet à autorisation individuelle du préfet le « lâcher des animaux nuisibles ». En cas de « lâcher » sans autorisation, la sanction encourue est une amende prévue pour les contraventions de cinquième classe (art. R428-19 du code de l’environnement). L’on peut cependant penser, comme le pense Didier Masci, responsable du centre Volée de Piafs, que le terme « lâcher » ne concerne que les animaux nés en captivité, élevés, puis lâchés dans la nature. À contrario, ce que font les centres de sauvegarde s’apparente à du « relâcher ». C’est-à-dire qu’ils récupèrent un animal en difficulté, le soignent, voire l’élèvent s’il est jeune, puis le remettent (donc le mettent à nouveau) dans la nature.
La jurisprudence sur la question est malheureusement quasi-inexistante. Dans l’unique arrêt traitant de la question du lâcher d’animaux sauvages, la cour d’appel de Rennes emploie plusieurs fois le terme « lâcher » à propos d’un homme ayant ouvert les cages de corbeaux préalablement capturés dans le but d’assurer la sécurité aérienne (3). Mais en droit, et en l’absence de prise de position claire sur la question, ce n’est pas un seul arrêt de cour d’appel qui fait jurisprudence. De plus, comme le raconte Didier Masci, l’ONCFS lui-même a déjà apporté une renarde blessée par un homme dans son centre de soin en 2016. L’année passée, Volée de Piafs a relâché 17 renards sans s’en cacher et sans être inquiétée par l’Administration, ce qui semble renforcer la thèse d’une distinction entre lâcher et relâcher.
Si l’on considère malgré tout qu’il est interdit de relâcher des « nuisibles » ou que l’on ne se positionne pas, l’on se trouve dans une impasse. De fait, il est interdit de conduire des élevages au sein des centres de sauvegarde (4), dont la mission est de toute façon la réinsertion de l’animal dans son milieu naturel. Face à un particulier qui lui amènerait un animal blessé « susceptible d’occasionner des dégâts », un CSFS n’aurait donc que trois choix devant lui : soit refuser l’animal, condamnant celui-ci à mourir des suites de sa blessure ; soit accepter l’animal pour l’euthanasier, abrégeant ainsi ses souffrances ; soit recueillir l’animal, le soigner et le relâcher à ses frais dans un département dans lequel il n’est pas classé (92 et 94 pour le renard par exemple). Cette troisième option ne fonctionne malheureusement que si l’espèce ne fait pas l’objet d’un classement sur tout le territoire métropolitain.
LA NÉCESSITÉ D’UNE COORDINATION DES CENTRES DE SOIN
Dans la loi, chaque mot a son importance et sa signification précise, et en l’absence d’interdiction expresse du relâcher, l’on peut avancer qu’il est autorisé ou du moins toléré. Il serait alors bon que les centres de sauvegarde s’accordent sur une éthique commune. Il est en effet dommage que seule une petite minorité de centres de soin accepte ouvertement de soigner et relâcher des animaux classés nuisibles, à cause de l’incertitude juridique entourant leur relâcher. Compte tenu du caractère extrêmement critiquable de ce classement qui, s’il a un sens, n’en a que pour une période limitée et sur un territoire donné, on ne peut pas se permettre d’entretenir un flou qui dessert ces animaux malaimés.
Ce flou est d’autant plus dangereux qu’il peut avoir des conséquences néfastes pour les autres animaux sauvages. En effet, le risque est grand qu’un particulier devant lequel on a refusé de prendre en charge un animal ne prévienne plus le CSFS la prochaine fois qu’il rencontre un animal en difficulté… Ces centres ont bel et bien un rôle à jouer sur le regard que les humains portent sur l’animal. D’où l’importance d’adopter des lignes directrices communes à tous les centres, avec une vision à long terme.
Pour terminer, une métaphore suggérée par Didier Masci nous semble pertinente. Si un être humain malade est soigné à l’hôpital peu important qu’il soit le pire des criminels, pourquoi nous permettrions-nous, sur des critères bancals, de décider quel animal a le droit d’être soigné ou non ? C’est peut-être notre propre humanité qu’il faudrait questionner.
Solène Noris